Fév. 09 15

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Quelques semaines avant la rentrée littéraire, nous avons interrogé Marc Torralba sur les projets du Castor Astral.
L'occasion de connaître son point de vue sur l'évolution du milieu éditorial français et sur les moyens de s'en sortir.
Tant bien que mal.
Sébastien Gazeau. Le Castor Astral a récemment récupéré les droits d'exploitation de l'œuvre de Georges Bernanos, qui appartenaient depuis toujours à Plon. Comment ce rachat a t-il été possible ?
Marc Torralba. Depuis quelque temps, la famille de Georges Bernanos constatait un désintérêt croissant de l'éditeur « historique » de Bernanos pour son œuvre. À bout de patience, elle a rompu le contrat qui les liait à Plon. Elle est venue vers nous car elle appréciait notre travail. Nous nous sommes engagés à rééditer progressivement et à maintenir disponibles tous les titres en grand format et gérer au mieux les cessions en poche et les droits étrangers.
À côté du travail de réhabilitation que nous menons pour des écrivains comme Emmanuel Bove, il était logique d'accueillir Bernanos dans notre catalogue.
Cette situation est symptomatique du fonctionnement de certaines grandes maisons qui ont tendance à privilégier les auteurs à la mode ou qu'ils espèrent rentables rapidement.
Aujourd'hui, c'est le court terme qui domine et la fidélité n'est plus au centre des relations entre éditeurs et écrivains. Le seul avantage de cette situation, c'est de donner à de plus petits éditeurs la possibilité de récupérer ces auteurs et de leur permettre de continuer à être lus.

S.G. S'agit-il d'une opération financièrement intéressante ?
M.T. On peut espérer ne pas perdre d'argent…
D'autant que le changement d'éditeur et le 60e anniversaire de la mort de Georges Bernanos a créé une actualité.
Certaines éditions de poche qui étaient indisponibles ont été ressorties après notre réédition en grand format. Nous étions en négociation avec Pocket pour le renouvellement de leurs droits poche pour Sous le soleil de Satan, et sans en attendre la conclusion ils ont réimprimé quelques milliers d'exemplaires (on venait juste d'apprendre que ce titre était au programme de l'agrégation). Quoi qu'il en soit, l'opération sera bénéfique pour le Castor Astral, ne serait-ce qu'en termes d'image.

S.G. Cet automne, à l'occasion des dix ans de la collection Escales des lettres, vous publiez une anthologie faisant figure de catalogue. Qu'est-ce qui a motivé le choix d'un tel format ?
M.T. Il est essentiel pour nous d'essayer de faire exister un livre longtemps après sa sortie. Les libraires sont le meilleur relais.
Au lieu de leur distribuer un catalogue promotionnel, avec prix et codes-barres, nous avons donc imaginé, en collaboration avec certains d'entre eux, de réunir des extraits de livres. Pour susciter l'envie de lire, en lisant… Distribuée gratuitement par les libraires, cette anthologie est une façon de les encourager à faire découvrir des livres du fonds à leurs clients.

S.G. Dans un marché du livre difficile, la création d'une revue de poésie, Inuits dans la jungle, a tout de l'acte insensé ?
M.T. C'est à la fois pour le plaisir et le symbole. La poésie est à l'origine du Castor Astral, mais nous n'en publions plus qu'à dose homéopathique. Jean-Yves Reuzeau (l'autre fondateur du Castor Astral, NDLR) rêvait depuis longtemps de relancer une revue. Avec deux poètes (également anciens animateurs de revues) : Jacques Darras et Jean Portante, cette aventure a des chances de se poursuivre.

S.G. À vous écouter, on comprend qu'une certaine idée du métier d'éditeur domine vos choix. Au risque d'être toujours en danger…
M.T. Pour faire vivre l'équipe du Castor Astral et progresser, nous pensons aujourd'hui qu'il est indispensable d'aborder d'autres domaines. C'est dans ce sens que nous sortons en novembre prochain le premier volume de L'Arcamonde. Il s'agit d'un grand roman-feuilleton moderne, centré sur le personnage de Frans Bogaert, un antiquaire de Bruges, qui mène des enquêtes sur de mystérieux objets. Cette littérature de divertissement, mais de qualité, devrait nous ouvrir à un plus large public.
À nouveau registre, nouvelle stratégie : le premier chapitre circule sous forme de brochure dans les librairies depuis juin ; un blog s'est ouvert au même moment, pour créer le « buzz » et susciter des échanges autour du livre*.
Et en 2009, nous nous lancerons dans le thriller avec un auteur français coutumier de tirages importants. Déçu par les grandes maisons, il a trouvé au Castor Astral un éditeur qui pouvait l'accompagner dans sa démarche littéraire. Par le passé, nous avons refusé ce type de projet, par principe ou par crainte. Aujourd'hui, sans pour autant nous renier, nous devons nous lancer.
C'est peut-être ce type de projet qui nous permettra de continuer à exister et de défendre plus sereinement des livres importants, comme ceux de Bernanos ou d'auteurs contemporains qui nous tiennent à cœur.

* Deux conférences de presse, couplées à des soirées pour fêter les dix ans d'Escale des lettres, auront lieu également avant la sortie, à Bruxelles et à Paris…

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