Fév. 09 05

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Bordelais au quotidien et d'origine, Jean-Luc Coudray est un auteur prolifique. De livres de littérature, de dessins humoristiques, de scénarios de bandes dessinées.
Oscillant d'un monde à l'autre avec plaisir, en garde contre toutes les phrases définitives, il a accepté de jouer au jeu du portrait pour Lettres d'Aquitaine.
Le dégagement politique. Au printemps 2008 paraissaient dans le même temps deux livres de Jean- Luc Coudray. Un récit de nature philosophique intitulé Dialogues avec Satan et le deuxième volume de Béret et Casquette, un recueil de strips, ces bandes dessinées de quelques cases dont les modèles seraient Peanuts, Professeur Nimbus ou Hägar Dünor. La diversité des genres pourrait étonner. Quelques clics sur son site Internet révèlent pourtant d'autres surprises. Entre textes et dessins, on apprend que Jean-Luc Coudray s'est aussi essayé à la politique…
Représentant du Parti de la décroissance à Bordeaux aux législatives de 2007, l'écrivain reconnaît que l'expérience fut peu concluante pour le nombre de voix mais enrichissante sur un point : le métier d'homme public et politique, ce n'est pas pour lui ! Reste que le mélange d'empirisme et de réflexion théorique qui fonde la pensée de la décroissance continue de le séduire. Son côté utopique aussi. Mais plus encore le refus des discours autoritaires, des visions du monde catégoriques et sentencieuses.
« Les savoirs affirmatifs m'empêchent de penser et de respirer. » À observer le monde tel qu'il va, il semble pourtant que l'agressivité soit devenue un mode de communication habituel. Prenez la publicité à la télévision (qu'il n'a plus depuis longtemps), qui saucissonne les films et les émissions : imagine-t-on un de ses livres entrecoupé des pages d'un autre ou de réclames ? Si notre époque pratique l'intrusion permanente, lui éprouve une colère continue face au peu de réactions que ces nouvelles formes de violence suscitent.

Le parti d'en rire

Heureusement, Jean-Luc Coudray est un fervent défenseur de l'humour et de la dérision.
Il suffit pour s'en apercevoir de parcourir les titres de sa bibliographie (avec une mention spéciale pour le Guide littéraire des lettres d'engueulade). On lira avec profit Le Professeur Bouc, Théories d'un irascible, où l'auteur « mime le discours du savoir et joue avec des théories scientifiques ». Quant aux Dialogues avec Satan, leur profondeur se situe dans la manière dont Dieu et le Diable manient le paradoxe et l'ambiguïté.
Car derrière des apparences graves, l'œuvre de Jean-Luc Coudray s'emploie avec le plus grand sérieux à fabriquer de la légèreté, à rendre les choses suffisamment légères pour les retourner dans tous les sens et nous les faire voir sous un jour nouveau.
En toute humilité mais non sans fierté, l'écrivain peut bien alors se comparer à Satan, celui qui malmène les vérités et trouble la conscience. « Je ne crois pas que la Vérité soit énonçable. Je crois en revanche à des vérités qu'on ne parviendra jamais à épuiser. À ce titre, je préfère les Védas [les écritures sacrées de l'hindouisme, NDLR] qui présentent la création du monde à travers une série de questions, à la Bible, qui s'apparente à une succession de vérités. »

Le livre des questions

S'il n'appartenait à un autre, ce titre pourrait valoir pour toute l'œuvre de Jean-Luc Coudray, qui « n'aime rien tant que se mettre en position de non-réponse ». Écrire est en ce sens un bon moyen pour s'extirper des relations humaines courantes où l'on est « toujours plus ou moins son propre avocat, avec son lot d'affirmations ».
L'exercice littéraire permet à l'inverse d'apprécier pleinement « la valeur qualitative de l'Être » et « de mettre certaines pensées à l'épreuve de la réalité en les incarnant dans un récit ». Détaché du réel, Jean-Luc Coudray ? Bien au contraire. Sans mépris pour les gens, ce sont leurs comportements qu'il observe avec hauteur, plus attiré par les considérations intempestives que par l'agitation immédiate. Les ventes de ses livres en France et à l'étranger l'invitent à croire que, s'il se sent parfois « ancré dans les choses d'un autre temps », il n'est pas le seul préoccupé par ces questions. Pour admettre aussitôt qu'il y a quelque chose d'anachronique à préférer les choses spirituelles à la raison technicienne dominante.

L'art de faire mouche

Spirituels, ses textes et ses dessins le sont également dans la manière. En attendant le 5e tome illustré par François Boucq1, vous pourrez vous en convaincre en lisant les quatre premiers tomes des Histoires de Monsieur Mouche, les trois volumes de Théocrite, illustrés par son jumeau Philippe Coudray ; ou encore les deux Béret et Casquette, dont il signe textes et dessins.
C'est sans doute avec ces formats que l'artiste montre le plus clairement sa maîtrise de la phrase simple et juste. Quelques cases, quelques mots – parfois des onomatopées, suffisent à toucher le lecteur qui découvre, comme dans ses textes plus touffus, une pensée poétique et rieuse, surréelle.
Et pourtant, les différents modes d'expression dont dispose l'auteur du Guide philosophique de l'argent cachent à peine la triste réalité : il est difficile d'entrer dans les cases quand on « déteste raconter [des histoires] pour raconter », quand les journaux n'acceptent plus de publier des strips comme c'était régulièrement le cas jusqu'à récemment, quand la censure occasionnée par le trop grand nombre de publications empêche toute pensée subtile d'être entendue. Sans parler de notre société qui s'emploie, volontairement semble-t-il, à conformer les gens à un modèle peu ragoûtant.
Incompris et déçu, Jean-Luc Coudray ? Pensez-vous ! À bientôt quarante-neuf ans, ce jeune homme pourrait soupirer, à l'instar de Casquette passant son chemin après que Béret lui a demandé s'il trouvait le monde beau : « À mon âge, je suis trop spécialisé pour lui répondre ! » Privilège de l'époque, les sources d'inspiration ne manquent pas ; privilège de l'âge, sa plume n'a jamais été mieux aiguisée pour croquer le monde et le réfléchir. Au programme de l'écrivain Jean- Luc Coudray, de nouvelles propositions pourraient donc attirer de plus en plus de militants : « Une sorte d'essai sur la décroissance à paraître en France et en Italie, avec quelques grammes de sérieux en plus de mes livres habituels ; un recueil de maximes intitulé Pensées truquées ; un nouveau tome de Monsieur Mouche pour Noël ; la réédition de Séjour en Afrique avec les dessins d'Alain Garrigue… » Frondeur et définitivement anachronique, Jean-Luc Coudray pense même à sortir un livre de poésie !

1. À paraître chez Zanpano édition en décembre prochain.

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