Fév. 09 11

Version imprimable Paroles de professionnel : Michel Charpentier


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Alors que s'annonce la journée consacrée à la diffusion du livre, organisée par l'Arpel Aquitaine le 16 janvier 20091, l'occasion nous est donnée de mettre un coup de projecteur sur un maillon essentiel de la chaîne du livre : la diffusion-distribution, dans un entretien avec Michel Charpentier, PDG de la SARL Charpentier Diffusion2, installée près de Bordeaux.
Catherine Lefort : Quel poids représente Charpentier Diffusion/So.Bo.Di, entreprise indépendante de diffusion et distribution de livres français et étrangers, en Aquitaine ?
Michel Charpentier : En 1980, j'ai repris l'entreprise de diffusion alors qu'elle était sur le point de déposer le bilan. Pour la remettre d'aplomb, j'ai commencé par la moderniser, l'adapter au marché du livre, aux divers circuits de vente de détail, à l'explosion de la production, en la dotant tout d'abord d'un outil informatique très performant.
Après un déménagement, du cœur de Bordeaux à Gradignan en 1999, Charpentier Diffusion/So.Bo.Di est aujourd'hui une PME installée dans un local de 2 000 mètres carrés qui abrite en permanence plus de 80 000 références et emploie 16 salariés.
Chaque année, ce sont environ 50 000 commandes de livres qui sont traitées en 48 heures. Notre entreprise est donc un interlocuteur privilégié des éditeurs (entreprises nationales et régionales) et des libraires du Grand Sud-Ouest.

C.L. : Quels sont aujourd'hui ses secteurs d'activités ?
M.C. : En premier lieu, nous opérons sur un territoire : l'Aquitaine pour 55 %, à laquelle il faut ajouter les deux départements des Charentes pour 35 % et une partie du Limousin pour 10 %.
C'est sur ce secteur géographique que l'entreprise Charpentier Diffusion/So.Bo.Di exerce trois types d'activités.
Nous sommes d'une part diffuseurs de livres, nous achetons des livres pour les revendre à des détaillants. Cette activité s'appuie sur une phase primordiale d'information, de conseil en fonction de nombreux critères – importance de la librairie, localisation géographique, type de clientèle… –, et nécessite une parfaite connaissance des points de vente ainsi qu'une confiance réciproque.
Nous intervenons au niveau 1 des librairies (réseau des grandes librairies indépendantes des grandes villes) pour les éditeurs régionaux en exclusivité. Puis nous intervenons sur les niveaux 2 et 3, les librairies ou maisons de presse installées dans des villes moyennes ou petites.
Nous assurons l'information, et l'approvisionnement de nombre de points de vente multi-activités en zone rurale. Tous ces détaillants, qui ne sont plus visités par les diffuseurs nationaux, continuent de proposer une offre livres de qualité.
Parmi les objectifs de la loi sur le prix unique du livre (10 août 1981), il en est un sur lequel nous nous engageons au quotidien : le soutien à un réseau de petites librairies nombreuses et diversifiées.
Nous avons donc ce rôle considérable de les aider à construire leur offre, donc à contribuer à la sélection des ouvrages qu'ils proposent.
Cet exercice est essentiel, d'autant que le marché du livre est constitué par 60 000 nouveaux titres chaque année.
D'autre part Charpentier Diffusion/So.Bo.Di est dépositaire d'édition, c'est une activité de type comptoir. Nous représentons une base avancée physique d'ouvrages des éditeurs nationaux ou régionaux pour les libraires – de l'agglomération, du département de la Gironde et des départements limitrophes – en compte chez les éditeurs nationaux, qui pour être commercialement très réactifs peuvent venir s'approvisionner chez nous.
En dernier lieu, nous exerçons le métier de distributeur, une activité d'approvisionnement logistique (flux aller et retour) qui concerne notamment le traitement des commandes des libraires : réception, saisie, préparation, facturation et expédition.

C.L. : Quelles sont les principales difficultés rencontrées pour desservir l'ensemble des points de vente du livre en Aquitaine, sachant que cette région est l'une des plus vastes de France, avec de nombreuses disparités ?
M.C. : La diffusion sur tout le territoire est assurée par une équipe de deux représentantes : Françoise Bois et Josiane Labadie ainsi que Jean-Luc Furette, directeur commercial, responsable de la diffusion hors Aquitaine, du lien avec les éditeurs régionaux et du développement des importations de livres en version originale. Ces deux commerciales effectuent régulièrement des visites chez les détaillants toutes les 6 à 8 semaines, soit 5 visites en moyenne par an. S'il s'agit d'un point de vente saisonnier, le rythme des visites sera plutôt de trois fois.
Les représentantes organisent elles-mêmes leurs tournées, mais cette tâche est de plus en plus compliquée. Les prises de rendez-vous doivent se faire en amont et la difficulté pour chacune d'elles consiste à adapter l'organisation de la tournée en tenant compte des contraintes de chaque point de vente.
Toute la complexité et le talent du métier s'exercent dans l'adéquation entre la grande diversité des catalogues que nous défendons – cela va de la gommette au recueil de poésie – et la disparité des points de vente. Je prends un exemple : l'approche commerciale et l'argumentaire ne sont évidemment pas les mêmes lorsque mes représentantes visitent une grande surface culturelle dans la périphérie d'une ville moyenne ou une petite librairie indépendante en milieu rural.
- Avant d'entrer dans une librairie, elles travaillent sur une proposition spécifique.
C'est un métier et une grande responsabilité. La visibilité des publications des éditeurs nationaux ou régionaux en dépend.
Les coûts de la diffusion en Aquitaine sont beaucoup plus élevés qu'ailleurs, en raison de l'étendue du territoire, de la faible densité de la population et de l'éloignement des centres urbains. Les coûts de déplacement des représentants sont facilement de 20 à 30 % plus élevés qu'ailleurs. Mais notre rôle est essentiel dans l'approvisionnement des livres sur notre secteur géographique.

C.L. : Quelle est votre vision du marché du livre ?
M.C. : Côté librairies, notamment en zone rurale, nous sommes souvent leur seul interlocuteur, leur seul fournisseur, leur « ballon d'oxygène » financier lorsqu'ils sont confrontés à des difficultés économiques, car nous sommes là pour amortir leurs problèmes de trésorerie, en organisant des opérations commerciales saisonnières, en accordant des conditions attractives de remise ou des délais de paiement.
La difficulté majeure de notre profession, mais c'est également le cas des détaillants, c'est la faiblesse de la marge, érodée aujourd'hui par l'augmentation constante des charges, en particulier des coûts du transport.
Je rajouterai l'impact physique épuisant d'une manutention de plus en plus importante, de plus en plus pesante du fait de la croissance exponentielle de la production, et du séjour de plus en plus court des ouvrages sur les tables des détaillants.
Si l'on considère les allers et surtout les retours (23 % de retours en moyenne) des livres, c'est une manutention stérile qui ne génère que des coûts.
Ce métier est un métier de passion, un vrai sacerdoce. Pour ma part, j'y trouve moins d'intérêt qu'il y a vingt ans, car je n'ai plus le temps ni le plaisir de lire tellement il y a pléthore de livres.
La difficulté vient aussi que, hors fiction, tous les livres se ressemblent. Regardez les ouvrages pratiques : dès qu'un éditeur a une idée originale, elle est immédiatement imitée par un nombre incroyable d'éditeurs à visée généraliste : vous allez trouver trente livres identiques sur les verrines ou sur les soupes…
Trop d'éditeurs publient des livres en quantité invraisemblable uniquement pour occuper le marché du livre. Et les libraires ne peuvent s'en sortir que s'ils font une sélection draconienne, une présentation attractive, et donnent des conseils argumentés à leurs clients.

C.L. : Comment voyez-vous l'arrivée du livre numérique ?
M.C. : Le confort de lecture sur un appareil numérique (e-book) n'est pas comparable avec celui sur support papier.
C'est pourquoi je crois que le livre papier a encore de très belles années devant lui. L'objet livre est un objet d'émotion, de sensualité. Outre le contenu, la dimension physique, esthétique de l'objet livre, son papier, sa reliure, son format, en font un objet de désir, un objet d'avenir. Ce n'est pas parce que le téléphone a été inventé que la poste a cessé d'exister.


1. Le 16 janvier 2009 a eu lieu au Conseil régional d'Aquitaine, Journée de réflexion : le diffuseur : interface indispensable entre libraires et éditeurs ?

2. Charles Charpentier, le père de Michel, a fondé en 1954 Charpentier Diffusion, qui a été la première structure de diffusion en Aquitaine.

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